Petite épître au gagnant de l'EuroMillions


Ainsi que le faisait le grand Clément Marot,
Adressant épîtres, ballades et rondeaux
Aux plus grands des seigneurs, sans oublier le roi,
J'emploie aujourd'hui ma plume — qui n'est pas d'oie,
À réveiller ce genre autrefois fanfaron
Pour te dédier, ô gagnant de l'EuroMillions,
Ces rimes d'un autre âge et ces vers vermoulus.
Hier, dans les journaux, à la télé, dans la rue,
L'info a célébré ta générosité,
Car c'est sans hésiter que tu as annoncé
Que de tous tes millions, les deux-tiers donneras
À des associations. Tu n'es pas un rapiat !
Mais qui peut donc ainsi, si distant des nuées,
Incarner, anonyme, cette infinie bonté
Que seul un noble cœur dans un accès fournit ?
Sans doute un directeur ou un chef de produit,
Un pilote de course ou bien une vedette.
En lisant cet éloge, à coup sûr, tu t'inquiètes :
"Voilà un beau coquin, qui pour le gain me flatte,
Lorgnant sur mon butin, rampant telle la blatte,
Il me sert, en envieux, son verbiage obséquieux !"
Eh bien non ! gagnant adoré, c'est fumeux
De me prêter d'aussi serviles intentions !
Car, naturellement, je ne vais, pour ton don
Te nommer le plus grand, le plus beau, le plus fin,
Dire qu'à tes côtés Brad Pitt est un boudin !
(Même si, en mon sein, je le pense vraiment),
Ou tu me traiterais, à raison, de manant.
Mais il faut rappeler que pour tous ses efforts,
Marot reçut du roi cent beaux écus en or.
Pour poète gêné, c'est un peu l'Amérique
De disposer aussi soudain d'autant de fric...
Et c'est sans crainte que j'écris : François 1er
Gâta Marot, mais est-ce de la charité
Dont, sublime gagnant, tu fis tantôt la preuve ?
Assurément pas : les pulsions qui te meuvent
Flottent bien par-delà les aumônes du roi.
Aussi, me disait un ami, poète également :
"Ton talent ? Il ne dépasse pas un pour cent
De celui de Marot, ce prince de la rime.
Alors si tu prétends quémander une prime,
Un pour cent de son gain ferait bonne logique.
Ce serait bien payé pour si maigre comique !"
Puis, un matin, mon compte en ligne j'ouvrirai...
En place du débit tout de rouge néon,
S'aligneront plein de zéros en rang d'oignons.
Je ne comprendrai pas, n'en croirai pas mes yeux.
Mais quand le banquier m'aura servi du "Monsieur",
J'étreindrai mes enfants, ranimerai le flux
Dans leurs yeux résignés qui ne demandent plus.
J'évoquerai le pain que bientôt ils auront,
La visite au docteur, pour soigner leurs bubons.
Pouvoir rire avec Sandrine guérie, enfin,
Et encore mieux : voir marcher Alex sans drains !
Je suis rêveur, je sais... C'est un bien très précieux
Mais qui n'apporte pas, pour autant, la pitance,
Car on ne nourrit pas sa famille de stances.
Mais si, par miracle, ces mots sous tes yeux viennent,
Quoiqu'on dise, que tu fasses et qu'il advienne,
Ta bonté fait que pour moi, noble donateur,
Tu n'es pas qu'un gagnant, mais tu es un vainqueur.
SDM                






Il y a quelques semaines (vers fin mai, je crois), j'ai entendu au journal télévisé qu'un gagnant de l'EuroMillions, habitant la Haute-Garonne et resté anonyme, allait donner 50 millions d'euros — sur les 72 empochés — à ses associations préférées. D'où cette idée, devant tant de générosité, de ressusciter le genre de l'épître (dans son acception de "causerie" épistolaire — d'où le nom — à la familiarité enjouée — à distinguer des épîtres religieuses), genre magnifié par Clément Marot* (1496 - 1544). Il s'en est servi à l'adresse de François 1er pour quémander de l'argent ou encore pour se faire libérer de prison. Personnellement, je ne suis pas en prison, mais me trouvai fort dépourvu quand la crise fut venue.
Mais comme, en gros, il y a à peu près autant de chances de gagner à l'EuroMillions que de voir notre gagnant tomber sur cette page, n'hésite pas, lecteur de passage, si tu as aimé cette modeste épître, à alléger ma détresse et ton portefeuille d'un don symbolique. J'afficherai le total sur cette page au fur et à mesure.

* N'hésitez à relire sa "Petite épître au roi", un bijou de virtuosité.


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